
Athènes, correspondance. Comment désamorcer la bombe ? Le gouvernement d’Antonis Samaras cherche un moyen d’apaiser les tensions en Grèce et en Europe après avoir brutalement coupé lundi 12 juin, les antennes de la Radio-télévision grecque, ERT, sans pour autant se renier. Le premier ministre conservateur se heurte à l’opposition des deux partis de gauche de sa coalition, le Pasok et la Gauche démocratique, qui demandent la réouverture des écrans. M. Samara s a annoncé un réunion avec leurs chefs de file, Evangelos Vénizélos et Fotis Kouvelis, lundi, pour essayer de trouver une solution.
Au Palais Maximou, où le premier ministre a ses bureaux, on reste confiant dans l’idée de convaincre les partenaires. Le gouvernement tente d’éviter un éclatement de la coalition, alors que le Pasok et Gauche démocratique ont demandé au Parlement l’annulation du décret qui a permis la fermeture de l’ERT. Les salariés de l’audiovisuel ont déposé en justice un recours demandant une telle annulation. Mais le gouvernement refuse de revenir en arrière. « Si nous reculons, cela voudrait dire qu’aucune réforme n’est possible », assure-t-on dans l’entourage d’Antonis Samaras.
PRESSION DE LA « TROÏKA »
« Les Européens nous ont demandé de faire des choses brutales que nous avons refusé de faire et quand nous mettons en œuvre une réforme, ils ont des doutes », commente-t-on au Palais Maximou. D’autant que le gouvernement était sous la pression du retour de la « troïka » (Commission européenne, Fonds monétaire international, Banque centrale européenne), qui demandait la suppression de 2 000 emplois publics en juin. Le gouvernement voulait mettre à pied des salariés impliqués dans des affaires de corruption, mais des recours sont pendants et ils ne peuvent être licenciés du jour au lendemain. Comme dans le même temps, la privatisation de la compagnie du gaz était en train de tomber à l’eau, il fallait montrer la détermination du gouvernement aux réformes.

C’est alors que surgit l’idée de fermer ERT. Il s’agit de faire d’une pierre deux coups. L’entourage du premier ministre est très irrité contre les rédactions des chaînes publiques, « toujours en grève », et spécialement, paraît-il, quand il y de meilleures nouvelles sur la Grèce. Le gouvernement a tablé sur la mauvaise image de ERT dans l’opinion, pensant que les Grecs en difficulté ne viendraient pas au secours des « privilégiés » de la télévision publique. Les premiers sondages montrent que seulement 40% des Grecs s’opposent à cette fermeture.
Mais le gouvernement a sous-estimé l’attachement sentimental à cette vieille institution et surtout le tollé que cela a provoqué en Europe. Pour le gouvernement, cette décision brutale, mais qu’il juge « légale », était la seule solution alors que toutes les réformes précédentes ont échoué. Le lendemain, le gouvernement a présenté un projet qui, selon M. Samaras, permettra de créer « une vraie radiotélévision publique », en promettant de « mettre en œuvre la réforme la plus audacieuse jamais réalisée dans le domaine des médias en Grèce ».
« LARGE DISCUSSION »
Le projet, qui est « ouvert à une large discussion », selon le Palais Maximou, reprend avec quelques changements le plan élaboré en 2011 par l’ancien porte-parole du gouvernement de Georges Papandréou, Elias Mossialos. Ce professeur de la London School of Economics, qui n’est pas membre du Pasok, s’en étonne: « Ce projet est défendu par ceux qui se sont opposés à mon plan. Tout le monde était contre : Nouvelle démocratie, les syndicats et une bonne partie du Pasok, qui voulaient tous garder le système clientéliste dont ils profitaient. Depuis qu’il est au pouvoir, ce gouvernement n’a rien fait pour réformer ce système, qu’il dénonce aujourd’hui, et il explique qu’il n’y avait pas d’autres moyens de réformer qu’en coupant les antennes. »

Le projet met la future structure audiovisuelle sous le contrôle d’un groupe de sages, garants de l’indépendance, nommés pour neuf ans. Le gouvernement essaie de constituer cette structure. Il a notamment approché l’avocat constitutionnaliste de renom Nikos Alevizatos, qui avait rédigé le plan de 2011. Mais celui-ci a refusé en demandant en préalable la réouverture de l’ERT.
Le gouvernement essaie de mettre en place un service minimum pour mettre fin à l’écran noir qui a atterré le monde entier, et qui est en contradiction avec la législation européenne. Il souhaite le faire en dehors de l’ERT, qui a officiellement cessé de fonctionner. Selon M. Mossialos, la mise en place de ce service minimum ne peut se faire que sous la contrôle du comité qui garantit l’indépendance. Pour les salariés de l’ERT, ce serait une deuxième déclaration de guerre. Ils soupçonnent le gouvernement de préparer cette diffusion à partir d’un local de la chaîne publique au cœur d’Athènes. Les salariés qui y travaillaient ont été accueillis par des policiers qui les ont priés de rebrousser chemin, quand ils ont voulu regagner leurs bureaux.
« SOUTIEN DE L’EUROPE »
A Aghia Paraskevi, où se trouve le siège de la société publique, la résistance continue à s’organiser et à gagner des points. Plus de 20 000 personnes ont protesté aux quatre coins du pays contre la fermeture des antennes, dans une ambiance festive. Mais surtout, les émissions visibles jusque-là sur Internet sont diffusés désormais dans le monde entier. Dans la salle de contrôle, les écrans montrent les images diffusés par satellite et sur les canaux de ERT International, qui ont été rétablis par l’Union européenne de radiotélévision (UER). « Nous espérons tenir avec le soutien de l’Europe », explique Nikos Michalitzis, ancien directeur technique de ERT, qui a dû céder sa place il y a un an à un ancien préfet proche du pouvoir. La foule continue à se rassembler dans les jardins où l’orchestre de la radio fait des concerts gratuits. A l’entrée de l’immeuble, un dessin représente une mire, sur laquelle s’inscrit le message : « Democracy ??? No signal ».
Alain Salles
Journaliste au Monde
Le gouvernement essaie de mettre en place un service minimum pour mettre fin à l’écran noir qui a atterré le monde entier, et qui est en contradiction avec la législation européenne. Il souhaite le faire en dehors de l’ERT, qui a officiellement cessé de fonctionner . Selon M. Mossialos, la mise en place de ce service minimum ne peut se faire que sous la contrôle du comité qui garantit l’indépendance. Pour les salariés de l’ERT, ce serait une deuxième déclaration de guerre. Ils soupçonnent le gouvernement de préparer cette diffusion à partir d’un local de la chaîne publique au cœur d’Athènes. Les salariés qui y travaillaient ont été accueillis par des policiers qui les ont priés de rebrousser chemin, quand ils ont voulu regagner leurs bureaux.